Nos tenanciers - portraits de personnages de Patagonie

Publié le par Fabienne

Rappelez-vous. Je vous parlais, dans un article récent, de la Jeffa, tenancière de l'hôtel de la Luna à Punta Arenas. Je voudrais également vous parler de Maria José, patronne de l'hospedaje du même nom à Puerto Natales, et de Carlos, notre hôte pendant presque une semaine, à Chonchi, sur l'île de Chiloé.

 

 

La Jeffa

Nous avons d'abord connu la Jeffa (dont nous n'avons jamais su le nom ni le prénom) par son homme à tout faire, son "manager" comme les résidents de la Luna appellent gentillement Faustino. Petit homme aux gestes rapides et économiques, ne parlant pas un mot d'anglais, c'est lui qui nous a ouvert la porte de la Luna.  Pas très commercial Faustino, mais sacrément bavard, généreux et chaleureux, plein de ressources. Nous sommes repartis avec une prise adaptée au Chili, de quoi réparer mon sac de voyage, des expressions apprises à force de l'entendre les répéter et surtout l'inestimable sentiment d'être chez soi et de pouvoir passer à l'improviste à n'importe quel moment et le trouver, disponible pour un petit verre ou un thé bien chaud.

 

Non que sa vie ait l'air d'avoir été facile, à Faustino. Il paraît plus âgé qu'il ne l'est sans doute et il n'a manifestement pas de chez lui, autre que les lits disponibles de l'hôtel de la Jeffa. La Jeffa, dont il parle avec affection et crainte à la fois, en baissant le ton lorsqu'il raconte qu'il travaille pour elle depuis 7 ans et que, et bien, c'est quand même "sa" Jeffa.

 

La Jeffa s'est liée d'amitié avec son résident principal, Javier, un avocat échoué à Punta Arenas depuis plus d'un an pour les besoins de "deux grosses affaires", et avec sa petite amie, Myriam, qui se dit, elle, très amie avec Faustino. Une vraie petite famille .. sauf que  la famille de la Jeffa habite au sous-sol. En trois jours nous n'avons vu ses enfants qu'une fois....quand leur mère fumait un petit joint avec ses clients, après un dîner bien arrosé qui a duré tout le dimanche après midi, à côté du signe non fumeur et sous les détécteurs anti-fumée. Tranquillement.

  

  

  

DSCN3380-WEB.jpg

 

Maria José

La Jeffa n'est pas de taille à côté de Maria José, énorme patronne de l'hôtel de Puerto Natales où nous avons passé, en tout, le plus de nuits depuis le début de notre voyage. La Jeffa est petite et ressemble à un crapaud là où Maria José est tout simplement gigantesque. De lourds cheveux encore très noirs négligemment relevés sous la nuque, des tenues dont on ne se souvient pas et son éternel registre des chambres à la main, Maria José règne sur un empire de 112 chambres au moins et une entreprise de transports touristiques intégrée à l'hôtel.

 

DSCN3540-WEB.jpg

 

 

Maria José règne sans se fatiguer. Pour cela elle a une esclave, jeune et sympathique, qui oeuvre du matin au soir, accueillant et aidant autant que faire se peut les clients, sondant leurs désirs et égrénant les services offerts par l'institution qui l'emploie. A l'aspirateur le matin, puis à la cuisine, au salon, à la laverie, à l'accueil, on ne voit qu'elle et on ne peut compter que sur elle, son humeur étant largement plus fiable que celle de Maria José.

 

Pourtant nous sommes retournés chez cette énorme femme à notre retour de Terre de Feu car, alors que je lui demandais un matin si nous pouvions rester une nuit de plus que prévu, elle me répondit : "Peu m'importe à moi, vous pouvez même rester habiter ici si vous avez envie". Et nous revînmes donc, et reviendrons sans doute si l'occasion se présente. 

 

 

Carlos

Beaucoup d'auberges s'appellent Esmeralda au Chili et en Argentine. Nous ne connaissons pas (encore) la raison mais bien souvent il se trouve une femme à l'accueil et l'on se prend à imaginer qu'elle s'appelle Esmeralda.

 

Carlos est le tenancier de l'hospedaje Esmeralda où nous avons posé nos valises  pratiquement une semaine, à Chonchi. Pas de femme ici, et ce depuis longtemps, plusieurs années sans doute. Mais il y en eût une certainement, cela se voit au soin apporté aux détails dans la décoration; aux noms des chambres (nous sommes dans la "honeymoon suite"). Et l'absence de cette femme se sent. La maison de Carlos est faite d'absences dans lesquelles viennent se nicher des mystères pour tout voyageur de passage comme nous.

 

  Picture-185-WEB.jpg

 

La maison est immense, mais vide, les lits défaits, comme abandonnés un matin de grand départ et depuis laissés en l'état. Carlos habite un coin de maison qui nous est inaccessible, son chien -maintenu derrière une porte close- faisant office de vigile. La porte d'entrée n'est jamais fermée, il suffit de pousser -fort- pour entrer. Les herbes poussent librement dans le jardin et nous ramassons les pommes et les coings tombés après la pluie. Bientôt ce sera au tour des kiwis. Les ronces prennent petit à petit possession de la maison au fond du jardin où se trouve la cuisine, les grandes chambres à l'étage moisissent en s'ennuyant. C'est sûr, nous ne ne sommes pas dérangés.

 

Picture-361-WEB.jpg

 

Carlos a un autre métier. Il gère, avec un de ses fils, une entreprise de pêche. En ce moment; c'est la récolte des moules, plusieurs dizaines de tonnes destinées à l'export, pour l'Espagne. Et, dimanche dernier, c'était la fête des pompiers, dont il fut le chef, mais il ne pouvait assister à la cérémonie... parce qu'il avait prêté son pantalon. Si.

   Picture-360-WEB.jpg

Carlos est canadien d'origine mais chilien d'élection. Après une vie passée à barouder - "jamais plus de trois ans : la première année je travaille énormément pour m'intégrer, la deuxième année je récolte les fruits et je profite bien, à partir de la troisième je commence à m'ennuyer et je reprends la route"- il s'est installé depuis dix ans au Chili, dont il a pris la nationalité.  

 

 Le mystère s'est sans cesse épaissi autour de Carlos, et l'impression que l'on a pu éprouver d'avoir obtenu des réponses n'a jamais été que passagère. Comme lui, comme nous. 

Publié dans Histoires

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article