Noël à Mompos
Qui n’a pas lu Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez?
Moi, c’était au Portugal, pendant un voyage à travers le pays brûlé par la canicule…
Or, lire Gabriel Garcia Marquez, c’est pénétrer une idée et se laisser pénétrer par elle, accepter d’être changé à jamais et, un jour, si l’occasion se présente, de suivre le chemin qui mène jusqu’à une de ses sources d’inspiration…. C’est ce que nous avons fait en allant à Santa Cruz de Mompos, village à la splendeur fanée qui a inspiré Gabriel Garcia Marquez pour son roman Chronique d’une mort annoncée.
Après six heures de bus à l’intérieur des terres, laissant la côte derrière nous, nous avons atteint la fin de la route, coupée par le puissant rio Magdalena au sommet de sa crue. Dans cette région, l’hiver dure de six à neuf mois et recouvre tout d’eau, que l’accablante chaleur estivale ne suffit jamais à évaporer tout à fait. Débuta alors un autre voyage, en chalupe pendant une heure et demi, à travers les îlots de nénuphars et les maisons sur pilotis.
Quand nous arrivâmes, il était tout juste quatre heures de l’après-midi, le village se réveillait lentement de sa sieste quotidienne. Les rues étaient encore partiellement inondées, obligeant les motos et les cyclistes à avancer avec précaution.
Tout était exactement comme nous l’avions imaginé : un lieu endormi en surface seulement où, à la nuit tombée, les habitants suivent d’un oeil attentif le va-et-vient de la vie du village depuis le pas de leur porte, dans leurs chaises à bascule. Un lieu où l’on se sent coupé du monde, où l’on s’oriente sans peine mais où l'on se perd ; un lieu où le fleuve dicte tout de la vie du village, du menu du jour aux échanges avec l’extérieur.
Et nous y avons retrouvé tous les éléments d’un roman de Gabriel Garcia Marquez : des personnages excentriques et attachants, un passé altier qui se devine certes, mais mal, sous les couches de poussière et de pourriture ; une nonchalance apparente qui dissimule de grandes ambitions ; et un présent qui peine à prendre le pas sur le passé, ses moeurs et ses souvenirs.
Pendant notre séjour là-bas, nous nous sommes sentis comme à demi endormis, à demi éveillés, pris entre notre imaginaire et la réalité. Et c’est dans cet état, harcelés par les moustiques et soumis à la chaleur ambiante, que nous avons fait la connaissance d’autres touristes, échoués comme nous à Mompos et ravis de l’être.
Nous avons passé Noël avec eux, ici sur une barque, à s’exclamer devant les iguanes et les singes, puis là, sur le toît d’un hôtel, le plus élégant où nous ayons été depuis des mois, entre étoiles filantes et poulet à la japonaise, vin chilien et petite fille profondément endormie, les pieds dépassant de la poussette.
Un Noël unique… que nous avons peut-être rêvé?